En général, il vole dans son coin.
C'est presque un marginal. Du moins à ce stade.
Mais au bout d'un an de pratique à voler seul dans son coin, voire plus, il se rend compte qu'il n'a pas beaucoup évolué et qu'il a sans doute pris de mauvaises habitudes.
Habitudes dont il aura beaucoup de mal à se défaire.
Le Net aidant, il voit parfois au détour d'une vidéo toute l'étendue qui le sépare de sa propre pratique.
Alors, il tente de se rapprocher d'autres cervolistes.
Parfois, le scénario est différent, car, là, où il débute, il y a déjà d'autres cervolistes.
Mais lui, dans un premier temps, il ne fait que passer.
Il regarde et passe.
Il n'ose pas encore se mélanger. Par peur du ridicule.
Il sait que son niveau ne le mettra pas en valeur.
Le kite est un sport d'adresse qui demande une excellente coordination des gestes dans les enchaînements.
Et dans ce registre, il y a les bons et les mauvais, les surdoués et ceux qui mettent plus d'un an avant de passer leur premier trick.
Le cervoliste n'échappe pas à cette classification.
Et le cervoliste qui n'en est pas moins un être humain aime bien maîtriser ce qu'il fait et n'aime pas être dans la position du nioube qui rate tout ou du débutant qui ne comprend pas ce qu'on lui dit.
C'est pourquoi, quand il voit un Top Gun sur le terrain, il se mettra derrière lui, en retrait.
De cette position, le Top Pilote ne le voit pas faire des allers-retours incessants sur le terrain et lui, il ne perd rien des tours de magie du top pilote.
Le Top Pilote a enregistré dans son radar la présence du nouveau.
Alors, il se retourne un peu et à travers ses nouvelles Ray-Ban pliantes, il balaye l'horizon du spot, car il est, ici, chez lui, c'est le Produspot.
Quand il voit le kite de plage du nouveau, il comprend qu'il a affaire à un nioube.
Tiens, le Produspot vient de rater un Yoyo Take Off qui a fini enroulé au sol...
C'est aussi un être sensible le Produspot...
Voilà, mais, il arrive que le nioube persévère et passe le cap du vol en 2D et s'essaye déjà à la dévente, et comme il l'a lu plusieurs fois, dans un des dernier forum qui traite du kite, que pour progresser, il lui fallait un plus grand kite et des lignes moins élastiques, il aura investi dans le dernier kite à la mode, le Top Of The Kite, celui du champion of the World en titre. Mais comme son budget a été revu à la baisse suite au remplacement de sa chaudière par une pompe à chaleur, il ne prendra pas la version Pro-Comp en Aero-Snuff, mais celle de base en Requin du Ciel.
C'est déjà amplement suffisant pour ses besoins et son niveau.
On revient à la scène d'avant, et le Produspot se retournant alors et voyant la gueule du kite du nouveau, il se demande si c'est bien la version Pro-Comp en Aero-Snuff du Top Of The Kite mis au point par Spike Marteau et Axel Golf.
A la pause, il ira le voir. Ils parleront chiffon, de la version hybride qui vient de sortir et s'il a déjà essayé la version semi vented, en proto et que, lui, le Produspot a pu tester dans un vent de cinéma à Beurk-sur-place...
Le nouveau apprend que pour être un bon pilote, il faut au moins dix ans de pratique assidue et habiter en bord de mer...
Certains ont commencé à 8 ans, d'autres à 13.
Certains sont champion à 17 ans, d'autres à 12...
Le nouveau qui a plus de trente ans se demande s'il y arrivera un jour à un être un bon pilote.
Question temps et disponibilité.
Mais bon, il est très opiniâtre et déterminé, il sait qu'il n'est pas vraiment doué, qu'il lui faudra beaucoup travailler, qu'il a perdu beaucoup de temps à voler seul, et qu'il ne sera jamais un top pilote, mais il veut au moins passer les tricks du moment.
Au bout d'un certain temps, il passe certaines figures du groupe 2 et 3. Il pense avoir progressé.
Sur le terrain, il est plus à l'aise.
Sauf que pour les entrées et les sorties ce ne n'est pas vraiment ça. Il est un peu brusque sur les inputs et le tout manque de souplesse et de fluidité.
Mais qu'importe, la figure passe... C'est ce qu'il se dit. Du moins, il dit, voilà, c'est plié, la figure rentre.
Même si c'est un semblant de figure... même si c'est une fois sur dix...
Même si dans le Rolling-Susan, il y a une perte de hauteur en sortie sur l'horizontale ou que les Ours ne sont bien pas aligné sur l'axe vertical... et que les lignes droites sont de travers...
Il se dit qu'il en est même pas à la moitié du catalogue. Il y a tant à faire encore pour devenir un bon pilote.
50 figures au total !
Plus les 15 en précision...
Et la maîtrise de tout cela !
Alors, aujourd'hui, il va essayer le Wap Doo Wap, on est en level 4. Il faut sauter le pas et tenter l'impossible, avoir de l'audace, ne pas se laisser enfermé dans des schémas négatifs et penser que le level 4, c'est réservé uniquement aux happy few.
Au début, il ne comprend pas l'impulsion pour la bascule.
Un jour et en mode bourrin, il pense avoir réussi, il n'en est pas vraiment sûr, c'est allé tellement vite, mais bon, la position du kite semble correspondre...
Maintenant, il bloque sur la rotation !
Il se décide à aller voir le Top Gun du coin pour lui poser la question.
Il ne faut pas de temps mort entre la bascule et la rotation. Quand la spine est à l'horizontal, tu déclenches la rotation.
Dit ainsi, cela à l'air simple.
Puisqu'il a le Produspot sous la main, il en profite pour le Crazy (là, on passe en level 5, on saute les étapes, mais c'est la figure du moment, qui plus est, c'est une ancienne figure, alors, oui pourquoi pas...).
Déjà, tu baisses l'incidence, cela facilite la bascule.
Seul sur son spot, il commence à baisser l'incidence. Il n'a jamais touché au bridage.
C'est vraiment nouveau pour lui et il a peur de tout dérégler et le Produspot ne lui a pas dit de combien il fallait baisser cette incidence.
Alors, il se décide pour 1 cm.
Sauf qu'il n'arrive plus à décoller son kite, il est vraiment trop lourd.
Quand il essaye la bascule du Crazy, cela coince.
Donc, il y a autre chose...
Bon, maintenant, il tente de revenir à la cote d'origine. Le Crazy, on verra une autre fois.
Il défait le noeud et remonte d'un centimètre.
Et maintenant, son kite semble complètement déréglé.
Il ne vole plus pareil et rien ne passe...
J'aurai jamais dû touché à ce foutu bridage.
De retour chez lui, il demande sur l'un des dernier forum qui traite encore du kite les cotes de son Top Of The Kite en version Requin du Ciel.
En réponse, on lui dit qu'il eusse fallu qu'il notasse les cotes d'origine du dit bridage sur une belle feuille de papier et aussi les cotes de la structure et que toutes modifications du bridage a une incidence sur le comportement du kite.
Genre, on ne touche au bridage que si on sait ce que l'on fait.
Bon, Ok, et c'est quoi ces cotes d'origine que j'ai oublié de noter ?
En même temps et au fond de lui, il pense que c'est aux constructeurs de donner ce type d'infos...
Revenu sur son spot, et après cette frayeur, il revient aux fondamentaux.
Se faire plaisir.
Il met, alors, le kite en Fade et le fait tenir le plus longtemps possible, déjà, parce que lui, il aime bien tenir le Fade et aussi, parce qu'un jour un top pilote lui aurait dit que cela ne servait à rien de rester une heure à tenir le Fade...
Mais, lui, il aime beaucoup cette figure, c'est une des première qu'il a réussi à passer, elle est du level 1 et il parvient même à la scotcher dans le ciel.
Gestion minimaliste des mains pour maintenir les lignes en légère tension et blocage de la respiration pour maintenir le kite sur place.
Il est comme en apnée. Dans un état second.
Juste avant sa session et la mise en Fade, il a pratiqué un des exercices de relaxation qu'il avait appris dans une séance de coaching pour évacuer le stress. Faire le vide en soi et respirer profondément et expulser tout l'air jusqu'au dernier souffle...
Voilà, il fait corps avec son kite.
Une brise du nord parcours le spot, les cirrus dessinent des traînées et des arabesques dans le ciel, le soleil fait jouer les couleurs du kite comme un vitrail.
Il est seul sur le spot.
Il semble heureux.